De nombreuses personnes viennent me voir avec une demande concernant leurs émotions. Souvent cette demande est formulée autour de la «gestion» des émotions. Ce mot gestion, personnellement, je le trouve inapproprié en ce qui concerne les émotions. Gérer signifie administrer, et ce verbe a pris aujourd’hui le sens de «contrôler». «Je gère» veut dire « tout est sous MON CONTROLE ». Pourtant, rien n’est moins gérable qu’une émotion.
Bien souvent, la demande des personnes se résume à « aidez-moi à ne plus ressentir ça », le « ça » étant généralement une émotion désagréable de type tristesse, colère ou peur. Or, il est impossible de cesser de ressentir les manifestations corporelles de nos émotions. Parce qu’elles sont avant tout un ensemble de réactions biochimiques et biologiques automatiques et en dehors du champ du contrôle conscient. Nous ne pouvons pas empêcher notre cœur de s’emballer lorsque nous voyons que nous perdons le contrôle de notre voiture sur une plaque de verglas. Pas plus que nous ne pouvons bloquer les contractions musculaires qui assaillent nos mâchoires et nos mains lorsque nous découvrons que notre maison a été cambriolée. Nos émotions sont « reflexes ». C’est pourquoi, en psychologie nous préférons parler de REGULATION EMOTIONNELLE, plutôt que de « gestion » des émotions.
Une précision, néanmoins. Certains troubles psychiques peuvent perturber la vie émotionnelle. Les traumatismes, les carences précoces (affectives et/ou de soin), certaines pathologies psychiatriques peuvent amener une dérégulation émotionnelle. Celle-ci peut se manifester soit par une incapacité à reconnaitre l’émotion (je ne sais pas que ce que je ressens c’est de la peur), un rejet du ressenti émotionnel (j’ai peur, mais cette information est rejetée par ma conscience), une hyperactivation émotionnelle (j’ai peur, même lorsque je ne suis pas en danger) …
Nos émotions jouent un rôle essentiel : elles sont des messagers qui nous informent sur la situation que nous traversons. Nous ressentons de la joie, de l’inquiétude, du dégout, de la peur parce que ces émotions sont un moyen rapide et automatique de recevoir de l’information sur ce que nous vivons.
C’est grâce à elles que nous pouvons nous adapter à notre environnement.
Prenons l’exemple de la peur. Pensez au sursaut que fait votre chat ou votre chien lorsque vous le caressez par surprise. Il sursaute si vite, qu’il semble impossible qu’il ait pris le temps d’analyser la situation. Non, il a simplement eu un comportement reflexe dont l’objectif est de mettre de la distance physique entre lui et ce stimulus qu’il n’a eu le temps ni d’analyser ni d’identifier. Il sursaute pour se mettre à l’abris, tout simplement. C’est sa réaction face à la peur. C’est une réaction de protection, de survie. Comme lui, c’est en ressentant de la peur que nous pouvons nous protéger d’une situation potentiellement dangereuse. Ces ressentis de notre cœur qui s’accélère, de nos jambes qui faiblissent, de sueur glacée sur la peau, sont autant de signaux qui nous informent que nous sommes en danger. Et c’est parce que nous ressentons de la peur, que nous pouvons agir rapidement pour nous protéger, en prenant la fuite, ou en nous préparant au combat, par exemple. La peur a donc bien un rôle crucial, celui de nous permettre d’adopter des stratégies pour garantir notre survie.
Il en va même avec la colère. La colère nous informe que nos droits, notre territoire, notre intimité ne sont pas respectés. C’est l’émotion de l’intrusion, de l’agression, de l’abus, du mépris (de qui nous sommes ou de ce qui nous tient à cœur). Elle donne l’élan pour réclamer justice, rétablir nos droits ou nos limites. Elle est source d’énergie pour repousser l’autre en dehors des limites de notre intimité. Elle nous donne la force d’exiger le respect. Elle peut enfin nous permettre de remettre en question nos croyances négatives sur nous -même, dans le cadre d’un travail psychothérapeutique.
Quant à la tristesse, elle nous permet de prendre conscience de la perte (celle d’un être cher, d’une situation agréable, d’un objet aimé, d’un projet, d’un rêve). C’est l’émotion de la résignation, de l’acceptation. Elle peut aussi nous aider à analyser une situation et en tirer des leçons pour nous protéger ou protéger ce qui nous est cher (je suis triste parce que j’ai cassé un plat auquel je tenais beaucoup. Cela m’incite à être plus prudente lorsque je range la vaisselle). Cette réorganisation de nos pensées sous le coup de la tristesse nous permet également de réévaluer une situation et de remettre en question notre perception des choses. Elle nous alerte alors sur le caractère exagéré ou inadapté de certaines de nos réactions. Le fait que je pleure parce que j’ai raté mon moelleux au chocolat (je reçois des amis ce soir) me permet de réaliser que je mets beaucoup trop d’enjeu dans sa réussite, et me permet de comprendre que j’ai peur que mes amis me jugent sur un simple gâteau. Je peux alors revoir ma lecture de la situation et concevoir que mes amis sont importants pour moi, et qu’ils ne s’éloigneront pas de moi pour un simple dessert.
Nous voyons que chaque émotion joue un rôle, qu'elle nous permet de réagir rapidement à ce que nous vivons. le plus bel exemple est celui de la joie. chaque fois que nous la ressentons, nous engrangeons l'information " Ceci est bon pour moi. Cette expérience est à reproduire". C'est parce que je jubile à l'idée d'aller au restaurant avec mes amis, que je sais que ces moments sont précieux pour moi. C'est parce que je suis heureuse de retourner sur les lieux de mon enfance, que je peux mesurer l'importance de ce que j'y ai vécu.
Nos émotions sont précieuses, ne cherchons pas à nous en débarrasser. Au contraire, acceptons-les, apprivoisons-les. Apprenons à les reconnaitre, à les nommer, à regarder avec curiosité ce qu’elles nous amènent à faire « en pilote automatique », à penser dans l’immédiateté. Apprenons à les connaitre pour mieux nous connaitre.
Comme je dis aux personnes qui souffrent de leur dysrégulation émotionnelle « je ne peux pas vous apprendre à gérer l’ingérable. Mais je peux vous aider à mieux ressentir, à moduler l’expression corporelle de vos émotions et à comprendre ce qu’elles vous amènent à faire sous leur emprise. Ainsi, même si vous ne pouvez pas les contrôler dans l’absolu, vous pourrez choisir en conscience ce que vous voulez faire et penser lorsqu’elles émergent ».
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